Au cours de mes pérégrinations en terre étrangère, j’ai eu l’occasion de rencontrer Serge Gilles en France, à Paris. Moi, fraîchement arrivé durant l’année 66, lui, qui avait déjà des assises dans ce pays d’Europe.
Avec 5 autres camarades rescapés de l’Union Nationale des Etudiants Haïtiens (UNEH), et transplantés dans un pays lointain, nous nous sommes engagés à poursuivre, ensemble, la lutte, en vue de supporter et de renforcer le front intérieur.
Serge, durant les longues années qu’il a passé en France, avait toujours l’esprit accaparé par Haïti. Alors que son travail à la Cimade l’amenait à s’occuper de réfugiés venant d’un peu partout du Tiers Monde, il trouvait toujours du temps pour son pays. Il avait cette capacité de se donner totalement à tout ce qu’il entreprend. Il était un internationaliste, un patriote, un dirigeant politique, un père de famille, un mari, un camarade, un ami, un conseiller.
Il aimait la politique, les débats, les combats. Il appréciait le dialogue et les contradictions. C’était un homme qui aimait la vie, qui aimait les autres, qui tenait ses engagements et qui ne lésinait pas sur la solidarité à apporter à ses amis, ses camarades de combat, dans les moments difficiles.
Au début des années 70, ayant reçu un ordre de quitter le pays où je résidais, dans un délai d’un mois, j’étais à me demander ce que j’allais faire ? Informé de la situation, sans hésiter, Serge me dit : Ne t’en fais pas, Paul ! Je t’attends en France avec ta famille.
Une autre fois, au commencement de l’année 80, de la République Dominicaine où je me trouvais pour travailler avec les braceros haïtiens, je fus arrêté et déporté le même jour vers Curaçao. De là, on m’embarqua sur le même avion, à destination du Venezuela. A l’aéroport de Caracas, je fus gardé en détention, ne sachant pas ce qui allait m’arriver, pensant à ma famille et surtout, craignant d’être envoyé à Duvalier.
Sur ces entrefaites, un agent de l’immigration vint me chercher pour parler à un représentant des Nations-Unies. Grande fut ma surprise, d’entendre au téléphone une voix très familière. Depuis quand Serge, es-tu à l’ONU, lui dis-je ? Il fallait absolument que je te parle et, c’était la seule façon que j’ai trouvée, répondit-il. Serge, c’était l’ami, le camarade, le frère, des bons comme des mauvais moments.
Pataugeant dans cet imbroglio où nous sommes plongés depuis trop longtemps, il me revient de temps en temps de penser à Serge. Homme d’État, de dialogue et de compromis, que penserait-il de cette situation ? Que dirait-il ? Hélas, il n’est plus là ?
Il est parti, malheureusement, trop tôt.
Paul DENIS