Haïtiens, Haïtiennes,
En cette période de fin d’année 2023 immergée dans l’insécurité, quels mots employés, quelles métaphores utilisées pour décrire un Etat tel que le nôtre, sinon se rendre à l’évidence après d’âpres réflexions qu’on est en panne d’expression ! Il y a, pourtant, un indice qui ne trompe pas : LA PEUR. Elle se lit encore et toujours sur les visages.
Naguère, les fêtes de fin d’année voulaient tout simplement dire des moments de rencontres merveilleuses. Ils suscitaient la chaleur, l’euphorie, l’excitation, le plaisir, le tout auréolé de sérénité. Et les concitoyens s’y préparaient à cœur joie. Ils se partageaient les recettes de Grand’mère. Le voisinage signifiait la convivialité, la solidarité et le vivre ensemble. Chacun vaquait librement à ses activités et se partageait des vœux.
Ce temps est-il définitivement révolu ?
En dépit de tout, à l’aube de la nouvelle année, période traditionnellement consacrée au partage des vœux et des engagements nouveaux à prendre pour laisser derrière soi l’année qui s’achève, la Fusion se tient debout, inébranlable, imperturbable pour souhaiter à ses frères et sœurs haïtiens et haïtiennes, aux Fusionnistes, au Peuple Haïtien, du courage, de la persévérance et de la santé pour continuer à vivre et à espérer des lendemains meilleurs pour notre chère Haïti, ce seul bien que nous avons tous et toutes en héritage.
Malgré nos différends, l’esprit des aïeux doit rester vivant dans la mémoire collective. Rappelons-nous toujours qu’ils se sont surpassés en mettant de côté leurs positions quasi irréconciliables pour affronter le danger commun. L’insurrection des esclaves, le revirement de Toussaint, la bataille de Vertières ont culminé en fin de compte à la geste sublime de 1804.
C’est sur la place d’armes des Gonaïves que le Général Jean Jacques Dessalines, entouré des généraux de l’armée indigène, inaugura le premier Janvier 1804 en donnant lecture de l’Acte de l’Indépendance. Le début du texte notifie au monde esclavagiste que l’espace appelé autrefois Saint Domingue n’est plus un état colonial. D’entrée de jeu, par cette lecture fracassante, il affirma sa volonté de fonder un Etat dont le nom est Haïti. Il voulut constituer un Etat indépendant, fort, souverain, constitué d’hommes et de femmes libres.
« Ce n’est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles, ce n’est pas assez d’avoir mis un frein aux factions renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut par un dernier acte d’autorité nationale, assurer a jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naitre, il faut ravir au gouvernement inhumain qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante tout espoir de nous rasservir, il faut enfin vivre indépendant ou mourir. »
Frères et Sœurs Haïtiens, Haïtiennes,
Ce premier Janvier nous ramène à deux cent vingts années d’histoire. Qu’avons-nous fait de ce coin de terre ? Avons-nous le sentiment d’avoir parachevé l’ouvrage ? Les Haïtiens et les Haïtiennes se glorifient toujours d’un passé merveilleux en s’y enfermant dans une fixité. Comme si, à part ce seul point de repère, la société s’était arrêtée nette. Tout se passe comme si les différentes générations haïtiennes étaient incapables de produire des réflexions et des actions pour aller au-delà des crises qui interviennent dans une récurrence fatale et entravent notre épanouissement régulier en tant que peuple.
A ce compte, hormis quelques éclaircies, notre histoire se résume à des coups dans le dos, à des complots, à des assassinats, à des coups d’état tant il est vrai que les historiens parlent de crises à répétitions. Depuis environ une quarantaine d’années, la société est confrontée à une crise multidimensionnelle. Toute la superstructure en pâtit. Et plus que ça, elle est monétaire, elle est écologique par la coupe immodérée des arbres, par la déforestation, par la mauvaise gestion des détritus, par le type d’habitat érigé de manière précaire et arbitraire, elle est territoriale, elle est migratoire. La crise nous atteint de plein fouet dans tous les domaines et à tous les niveaux.
Cette manifestation, certes, n’est pas spécifique à Haïti. Toute société connait de ces moments passagers. Ce qui veut dire qu’une crise est transitionnelle, elle indique le passage d’un état a un autre. Cela étant, la crise est nécessaires voire utile. Et dès qu’on en parle, il y a nécessairement deux étapes :
- L’étape critique qui correspond à un dérèglement, un bouleversement, un effondrement.
- L’autre correspond à une refondation, à une réforme.
Chez nous, au regard de l’étape critique, comment se présente le tableau ?
Qui ne se rend pas compte d’un pays en situation difficile ou le phénomène d’insécurité constitue le fléau majeur ? Durant les cinq dernières années, elle a atteint des proportions inquiétantes et gigantesques. Comme un séisme, elle a déconstruit Haïti. Deux cents gangs opèrent sur le territoire. Ils disposent d’une puissante force de frappe avec des armes en moyenne supérieure à celles de la Police Nationale d’Haïti, la seule force légalement constituée pour protéger et servir.
Les gangs occupent des artères importantes qui relient les départements de sorte que la circulation des personnes et des biens devienne difficile voire périlleuse. Le Kidnapping contre rançon devient une entreprise rentable. Les populations sont menacées en permanence et fuient leurs domiciles. Au cours de l’année 2022, plus de 113 000 personnes sont considérées comme des déplacées à l’intérieur de leur propre pays. 96000 personnes ont fui l’insécurité qui sévit dans la capitale en raison des affrontements entre gangs et des troubles sociaux.
Frères et sœurs haïtiens et haïtiennes,
Le phénomène de l’insécurité est devenu manifestement une grande entreprise organisée. Les armes de guerre envahissent le marché, les munitions rentrent à profusion. L’administration douanière n’y voit presqu’absolument rien, à part quelques rares coups de filet. La contrebande fonctionne à plein rendement. Les organisateurs restent tapis dans l’ombre et exécutent magistralement leur partition. Entre-temps, le pays se meurt parce que ce phénomène a des répercussions catastrophiques sur l’ensemble des activités de la société.
Qui ne se rend pas compte que les écoles, les Universités sont en situation difficile et sont dans l’incapacité de répondre efficacement, dans ce contexte malsain, à leur vocation ? En aucune manière, les écoliers, les étudiants ne sont pas disposés à l’apprentissage. Comment le pourraient-ils quand l’anxiété se lit sur leurs visages ? Comment le pourraient-ils quand, en sortant de chez eux, ils pensent au kidnapping, quand ils entendent sans arrêt le crépitement des balles à l’intérieur de l’établissement, quand en sortant de l’école, la peur les accompagne jusqu’à la maison ?
Il y a des élèves, des étudiants qui abandonnent parce que les parents sont à bout de souffle. Il y en a d’autres qui laissent le pays pour se réfugier illégalement en Amérique du nord ou en Amérique du sud dans la plupart des cas. L’Université Quisqueya, n’envisage-t-elle pas la possibilité de fermer temporairement ? En Janvier 2019, l’Université comptait 3585 étudiants. En 2021, on en comptait 2000. En 2023, on en compte 850. L’éducation s’est dégradée considérablement.
Qui ne se rend pas compte de la destruction de notre économie ? La création de la richesse demeure toujours un vœu pieux, la quantité réelle de biens et de services pour 2023 a encore chuté d’environ 1.5%, marquant successivement une cinquième année de ralentissement de l’économie haïtienne. Une situation économique marquée par un taux d’inflation à plus de 30% pour l’exercice de 2023 et grandement influencé par la hausse des prix de produits de première nécessité (produits alimentaires) et les dérèglements des chaines d’approvisionnements. Les exportations ont connu une baisse sans précèdent perdant ainsi environ 25% de leur valeur nominale par rapport à 2022. En dépit d’une certaine démonstration de performance dans la collecte des recettes de l’Etat, la capacite à collecter des administrations fiscales et douanières demeure plutôt limitée en raison des conditions sécuritaires trop précaires.
Au niveau du secteur agricole, les denrées, déjà sous la proie des conditions de production calamiteuses (pratiques agricoles précaires, déficit de canaux d’irrigation, conditions météorologiques défavorables,) par les agriculteurs, deviennent plus rares, les moyens de transport atteignent difficilement la capitale en raison du contrôle des axes routiers par les bandits. L’importation des denrées de première nécessité est tout aussi compliquée en raison de la volatilité au niveau mondial des denrées alimentaires et de l’énergie. Une fois sur place, pour faire sortir un container au niveau de la douane, il faut compter avec les bandits.
Haïti est classée parmi les pays de la planète ayant un taux d’insécurité alimentaire le plus élevé avec environ 4.5 millions de personnes (près de la moitié de la population totale) dans le pays qui seraient en situation d’insécurité alimentaire grave.
Par ailleurs, plusieurs entreprises de tous les secteurs d’activité économique ont dû réduire considérablement leurs activités pendant que d’autres ont tout simplement cesser de fonctionner en délocalisant leur production en dehors du pays.
L’industrie hôtelière est gravement atteinte. Wahoo Bay et Ouanga Bay, deux hôtels localisés sur la Cote des Arcadins, sont attaqués, saccagés et pillés. Selon des rapports récents, environ 100 millions de dollars d’investissements touristiques sont livrés à la merci des gangs armés. Les grandes et les moyennes entreprises, et en général toutes les maisons de commerce connaissent le même sort. Les installations des Moulins d’Haïti situées non loin du port Lafiteau, à la sortie nord de Port-au-Prince, ont été vandalisées. Près d’une cinquantaine d’individus lourdement armés arrivés par la mer a bord d’un bateau à moteur, ont pris le contrôle de la zone. Les locaux de la Cimenterie Nationale, à Fonds- Mombin sur la Route Nationale No 1, ne sont pas épargnés.
Qui ne se rend pas compte des luttes politiques de basse intensité pour la prise du pouvoir ? L’assassinat du Président Jovenel Moise a empiré la situation politique davantage. Volontairement, il n’avait pas organisé les élections législatives, municipales comme l’exige la Constitution. Quelques jours avant sa mort, il avait nommé un Premier Ministre qui est actuellement en exercice. Une frange de l’opposition politique s’acharne à demander son départ alors qu’il n’existe aucun mécanisme constitutionnel qui permet de le remplacer.
Alors que le dialogue et le dépassement de soi auraient pu conduire à une entente conviviale, certaines personnalités utilisent l’arme de la manipulation pour occuper le pouvoir. L’intransigeance de certains qui croient avoir le monopole de la vertu conduit à des prises de position irréconciliables. Haïti ne peut se construire dans le rejet de l’autre, elle doit se construire dans l’altérité. « La vraie altérité n’est pas d’universaliser nos propres valeurs mais d’aller à la rencontre de la différence des autres. »
Qui ne se rend pas compte que les institutions républicaines sont toutes frappées ? La Police Nationale d’Haïti dont la devise est « Protéger et Servir » est vidée de ses policiers, gangrénée par la corruption et sous équipée en armes et en munitions. Ce qui veut dire qu’elle ne parviendra pas seule à reconquérir les territoires perdus, à ramener le climat de sécurité et de paix tant souhaité par la population. La Justice n’est pas épargnée. D’autres institutions telles que les groupes politiques, les media, les églises s’entredéchirent et se livrent à des luttes stériles.
C’est dans ce contexte d’anarchie que le gouvernement a sollicité le déploiement d’une force multinationale. Le Conseil de Sécurité a autorisé la création et le déploiement d’une mission nationale d’appui à la sécurité. La résolution autorise les Etats membres à fournir un appui opérationnel à la Police Nationale d’Haïti notamment pour renforcer ses capacités par la planification et la conduite d’opérations communes d’appui à la sécurité.
Que proposer pour une refondation ?
Un appel de la Fusion aux forces politiques et économiques, aux organisations de la société civile, aux compatriotes de la diaspora, aux hommes et femmes de la pensée constructive
Frères et sœurs Haïtiens et Haïtiennes,
La refondation, c’est l’autre étape de la crise. Le mal qui fait ravage en ce moment n’est autre que l’insécurité. Il faut la combattre par tous les moyens. La force de police n’est pas en mesure de la faire toute seule, compte tenu des problèmes actuels liés à son fonctionnement. Le déploiement d’une force multinationale est nécessaire dans la lutte contre le grand banditisme.
Au-delà de l’insécurité, il nous faut parvenir à un avenir meilleur et durable pour les Haïtiens et les Haïtiennes. Nous devons répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés tels la pauvreté, l’inégalité, la justice, l’éducation à deux vitesses, la dégradation de l’environnement, les élections, etc.
Pour ce faire, la stabilité politique est indispensable. Ce qui nous aurait amené à faire un choix économique clair capable d’intégrer le secteur agroalimentaire, l’éducation, l’économie de biens et services.
La Fusion appartient à cette école politique qui prône le dépassement des clivages, c’est la voie idéale pour construire positivement. N’est-il pas venu le temps pour notre génération de marquer la différence et de dégager les comportements et les attitudes nouveaux à l’effet de bien cerner les contours de ces circonstances nuisibles pour les dépasser et voir plus loin ?
Dans l’histoire de notre pays, il y a une date sacrée, elle est celle qui a vu deux groupes rivaux dépasser leurs querelles pour s’engager dans une alliance stratégique ayant conduit à la rupture des liens coloniaux avec la France. Ainsi, Saint Domingue est devenue Haïti, terre libre et modèle pour tous les peuples vivant dans l’esclavage, peu importe leurs teintes épidermiques.
La Fusion appelle les uns et les autres à trouver inspiration de ce grand moment pour d’abord comprendre le grand danger qui nous menace tous et toutes, et ensuite pour s’élever à la hauteur du dépassement des Pères Fondateurs.
La Fusion lance un vibrant appel patriotique aux forces politiques et économiques, aux organisations de la société civile, aux compatriotes de la diaspora, aux hommes et femmes de la pensée constructive pour la mise en place d’un projet national dans l’intérêt de la Population. Se donner la main est la seule alternative qui nous reste.
Frères et Sœurs Haïtiens et Haïtiennes de la même patrie,
La Fusion partage avec vous son vœu le plus ardent à l’aube de la nouvelle année 2024. Mettons-nous ensemble pour rebâtir Haïti, notre seule bien commun. Comme s’il s’agissait d’une opportunité à saisir, montrons-nous intelligents et disons-nous à la manière de Condorcet : « Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans. »
REVEILLONS- NOUS. REVEILLONS HAITI DE SA LETHARGIE ET TRANSFORMONS-LA !
Edmonde SUPPLICE BEAUZILE
Présidente de la FUSION