« Nous donnons au monde ce spectacle d’une jeune nation, née à des hauteurs étonnantes, se coupant les ailes pour tomber au niveau de toutes les abjections »[1] Edmond Paul .


La transition de rupture, était-elle porteuse d’un projet ? Ceux et celles qui s’opposaient au régime d’alors ont proposé la création d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Dès sa mise en forme, les initiateurs ont commencé, sur fond de crise, à exécuter leur numéro de scène. Et la machine aussitôt en marche, les Conseillers-Présidents, chacun en ce qui le concerne, se donnent à cœur joie en étalant graduellement la dimension artistique de leurs talents. Entre autres, deux cas majeurs de flagrance :

  1. Sur le chapitre de la corruption, le Président du Conseil d’administration de la Banque Nationale de Crédit doit verser cent millions de gourdes à trois Conseillers Présidents en échange de sa reconduction au poste de président du CA.
  2. Sur la rubrique de l’insécurité, le Président rotatif du CPT a coloré en rose le paysage haïtien en déclarant que ‘’la vie commence à reprendre dans les rues de la capitale et, dans le reste du pays dans le nord comme dans le sud la vie a repris quasiment totalement et environ quatre-vingt mille étudiants en 9eme Année Fondamentale ont subi les examens officiels réussis la semaine dernière ’’ par devant l’Assemblée de la CARICOM à l’occasion de sa 47ème réunion.

A la primature, le Premier Ministre désigné n’y est pas allé de main morte. Dans son discours d’investiture en date du 12 Juin 2024, il a tenu un discours imprégné de couleur hautement nationaliste. Il y a quelques passages que je retiens : « Je m’engage devant vous chers concitoyens à servir notre nation avec intégrité, transparence et dévouement….   Il est crucial que nos policiers et nos soldats soient bien préparés pour faire face aux défis sécuritaires actuels… Nous veillerons à ce qu’il dispose d’outils nécessaires pour accomplir leur mission avec efficacité et professionnalisme. Nous devons rétablir la confiance du peuple dans ses dirigeants et ses institutions. Cela implique une transparence totale dans la gestion des affaires publiques et une tolérance zéro envers la corruption ». Veut-il réinventer la roue ?

En ayant visité l’Hôpital Général accompagné du Directeur Général a.i de la Police Nationale d’Haïti et l’affrontement qui en est résulté entre les gangs et les Forces de l’Ordre, en ayant rencontré en la résidence privée du Conseiller-Présidentiel d’autres Conseillers et des responsables de secteur politique et le spectacle qui s ‘en est suivi, le Premier Ministre s’est montré tout aussi talentueux.

Dans une interview diffusée en date du 7 Août 2024, le Premier Ministre a dit : « Il sera extrêmement difficile d’organiser les élections et assurer la passation du pouvoir à de nouveaux élus au 7 Février 2026 dans les conditions actuelles ». Il est frustré par rapport à la lenteur constatée dans la fourniture de l’aide promise par l’International, en particulier les Etats-Unis pour rétablir l’ordre et améliorer les conditions d’existence de la population.

Hier, ils se sont présentés comme les défenseurs de la société, les garants d’un ordre nouveau, les tenants du système démocratique, comme l’alternative crédible. Aujourd’hui, ils ont les mêmes réflexes, reproduisent les mêmes faits et gestes et sont pressés de passer à la caisse. 

Je me questionne sur la pesanteur d’un passé prégnant, d’un passé reproduit avec efficacité.

C’est pourquoi mon ouvrage, titré ‘’Les Siamois : ‘’Pouvoir et Opposition’’ qui sera bientôt disponible, prend en compte cette malformation congénitale. Tout en s’excluant l’un l’autre, le tandem « Pouvoir et Opposition » se donnent la main, demeurent solidaires et jouissent d’une santé robuste sur la longue période 1804-2024. La pérennité de l’un assure la survie de l’autre 

J’en déduis en interrogeant l’histoire, cette cruelle enseignante, que le Pouvoir et l’Opposition se livrent une lutte sanglante et se relaient tout aussi bien. Ils sont siamois. Cette forme de lutte, engagée à l’aube même de la jeune nation haïtienne, est devenue une constante à travers l’histoire. Je cite deux faits d’illustration :

  1. Les hommes de l’Ouest et du Sud s’en veulent à Dessalines qu’ils qualifient de tyran. Ils organisent la révolte et abattent l’Empereur. Leur texte « Résistance à l’oppression » traduit l’expression de leur exaspération, de leur ras le bol, de leur volonté de construire une société dont la boussole sera axée sur la loi.

Lisons un extrait de ce document : « En attendant le moment où il sera possible de l’établir, nous déclarons que l’union, la fraternité et la bonne amitié, étant la base de notre réunion, nous ne déposerons les armes qu’après avoir abattu l’arbre de notre servitude et de notre avilissement et placée à la tête du gouvernement un homme dont nous admirons depuis longtemps le courage et les vertus, et qui, comme nous, était l’objet des humiliations du tyran ;  le peuple et l’armée dont nous sommes les organes, proclament le général Henri Christophe, Chef provisoire du gouvernement haïtien, en attendant que la constitution, en lui déférant définitivement ce titre auguste, en ait désigné la qualification. »

Une fois l’Empereur abattu, les hommes de l’ouest et du sud en veulent à Christophe. C’est la guerre déclarée qui conduit à la séparation du pays en deux Etats : le Nord, l’Ouest et le Sud.

  • En 1843, les hommes de Praslin se liguent contre Boyer, l’obscurantiste qui finit par prendre l’exil. Animés par des idées généreuses de changement, déterminés à édifier un gouvernement civil comme norme, ils conçurent un projet de constitution. Ce sera la Constitution de 1843.

En prenant le pouvoir, les hommes de Praslin n’ont pas su montrer qu’ils étaient différents de Jean-Pierre Boyer. Charles Rivière Hérard, expression de ce mouvement et devenu Président à son tour, fut lui aussi chassé, emporté par le complot ourdi par les boyeristes et contraint de s’exiler avec des personnalités qui avaient organisé éloquemment l’opposition parlementaire. En fomentant ce coup d’état contre les hommes de Praslin, le parti boyeriste proposa la candidature de Guerrier à la présidence. Du 3 mai 1844 au 27 février 1847, intrigues, conspirations et luttes sanglantes opposèrent les Boyeristes aux Rivièristes. Trois présidents se succèdent : Philippe Guerrier, Louis Pierrot et Jean Baptiste Riché.  Les boyeristes inaugurèrent la politique de doublure qui consistait à porter au pouvoir un noir ignorant pour diriger le gouvernement en son nom. C’est malheureusement notre Haïti où « hier » et « aujourd’hui » assurent la permanence de manière coriace. L’approche mécanique des faits historiques tels que présentés sommairement en rapport avec les tenants du pouvoir et de leurs opposants apporte un éclairage sur notre mode de fonctionnement. Elle permet de saisir l’enchevêtrement contextualisé de la trame des évènements demeurant encore le modèle politique aux sources intarissables où les hommes et les femmes politiques de la cité viennent s’abreuver.

Néanmoins, ne faut-il pas, par-delà le contexte historique, interroger et scruter le phénomène de la colonisation ? Aimé Césaire, en posant l’équation : colonisation = chosification dans son « Discours sur le colonialisme » publié en 1950, oriente notre réflexion sur le legs colonial et ses stigmates jusqu’à présent indélébiles. Cette chosification, synonyme de toutes les méthodes d’ensauvagement, de violence, de haine raciale, de relativisme moral, s’est enfouie instinctivement en nous, et aussitôt en activité elle se déverse de manière éruptive.   

Leslie Manigat décrit de fort belle manière le poids colonial et historique en ces termes : « C’est l’héritage colonial puis national, avec ses sédimentations et ses érosions différentielles sous forme d’atavisme et de résistance, de séquelles et de résidus, de positions et de résurgences d’autant plus possibles, que chez nous, la longue durée, en l’altérant certes, maintient le passé vivant »

En partageant ces donnes historiques, je veux rappeler à mes frères et sœurs haïtiens et haïtiennes qu’il n’y a pas de génération spontanée.  Nous sommes les causes de nos malheurs et ensemble nous devons être en mesure d’identifier le mal et envisager comment sortir du bourbier. Des propos acerbes ! Des paroles qui détruisent ! Des prises de position de chapelle ! nous avons démontré une adroite et rare habilité à « dynamiser le recul » pour reprendre l’expression du professeur.

La dynamique du recul, c’est se complaire dans un individualisme primaire, sauvage, à défaut de toute forme de solidarité agissante envers la collectivité.

La dynamique du recul se manifeste avec les forces vives du pays qui, tout en étant conscients de parodier la démocratie, utilisent le double discours.

La dynamique du recul se manifeste dans le démantèlement des Institutions républicaines.

La dynamique du recul se manifeste dans le morcellement de la République entouré de gangs bien équipés et protégés qui ont leur juridiction respective.

La dynamique du recul se manifeste dans la velléité des politiques à armer leurs troupes en vue de remporter les élections

La dynamique du recul consiste à rendre possible constitutionnellement la multiplication des partis politiques- en fait des particules- qui attendent l’occasion pour s’inscrire dans les prochaines compétitions électorales.

La dynamique du recul est le langage manichéen au quotidien des obscurcisseurs : seuls les technocrates peuvent diriger efficacement le pays ; les politiciens sont catégorisés comme étant tous des corrompus et nuls à travers le prisme convenu par l’expertise des puristes.

La dynamique du recul, c’est inaugurer et mettre en marche l’industrie nationale du crime organisé, du kidnapping contre rançon, de la rendre séduisante et florissante, jusqu’à en faire d’elle une habitude devenue maintenant habitus.

La dynamique du recul se manifeste dans la manipulation d’un discours pernicieux, manichéiste qui inocule aux frères et sœurs haïtiens et haïtiennes le venin de la discorde et de la haine.

La dynamique du recul se manifeste dans la perte totale de notre souveraineté.

Il faut se rendre à l’évidence que nous sommes tous dans le même bateau qui prend de l’eau et fait naufrage. Comment donc redresser la barque ?  C’est un véritable pari qui peut être relevé si l’on peut se défaire de son ego. L’Haïtien doit se parler vrai. Les forces vives de la nation, sans esprit de condescendance, doivent cogiter autour d’un plan d’ensemble.

Pour la Fusion, Il demeure indispensable de construire une nouvelle Haïti. Réfléchissons sur les échecs répétés des élites et les causes de nos malheurs, sur la présente situation politique, économique, sociale, environnementale, sécuritaire, démographique du pays. Présentons une offre politique innovant à travers un projet national. 

Pour la Fusion, il nous faut construire une plateforme politique solide, composée d’organisations politiques, de personnalités et des organisations de la société civile pour les prochaines élections.

Pour la Fusion, il nous faut une offre politique innovant à travers un projet national axé sur la modernisation de l’état et de l’économie du pays, la reconquête de notre souveraineté, la justice et la justice sociale, la stabilité politique.

Pour la Fusion, il nous faut la signature d’un Pacte de Gouvernabilité.

Il faut qu’Haïti se réveille et se transforme !

REVEILLONS- NOUS. REVEILLONS HAITI DE SA LETHARGIE ET TRANSFORMONS-LA !

Edmonde Supplice Beauzile

Edmonde Supplice Beauzile, une personnalité politique haïtienne, qui a joué un rôle significatif dans la vie politique de son pays. Elle a été membre de la Chambre des Députés et du Sénat, et elle a dirigé le Parti Fusion des Sociaux-Démocrates Haïtiens(PFSDH-FUSION) de septembre 2011 à date.

Visitez https://www.partifusion.ht/

Je peux vous en dire plus sur son parcours. Edmonde Supplice Beauzile est née le 14 octobre 1961 à Balladère et a grandi là-bas ainsi qu’à Maïssade. Elle a étudié les sciences juridiques à l’Université d’État d’Haïti et a obtenu une maîtrise en éducation à l’Université de Montréal en 1993. Elle a siégé à la Chambre des Députés de 1990 à 1994 et au Sénat haïtien de 2006 à 2012, où elle a également occupé le poste de vice-présidente.

Malgré les défis politiques et sociaux auxquels elle a été confrontée, Edmonde Supplice Beauzile a continué à jouer un rôle actif dans la vie politique haïtienne. Copilot (MS IA)  pour voir plus : Edmonde Supplice Beauzile: « J’ai toujours rêvé d’être de celles qui prennent les décisions » (lenouvelliste.com) ;  Winnie Hugot Gabriel ,                 22 sept. 2015 | Lecture : 7 min.

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[1]C’une citation puissante ! Elle évoque la chute d’une nation qui, malgré un départ
promoteur, finit par se dégrader et perdre sa grandeur. Les mots d’Edmond Paul
nous invitent à réfléchir sur la fragilité des sociétés et idéaux.

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